Fil d'Ariane
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- Les valeurs de l’architecture
Le bâtiment et l’infrastructure doivent répondre à une espérance : celle de créer un cadre de vie contribuant au bien-être individuel et au bien-vivre collectif des êtres humains, dans le respect de la nature.
De nombreuses conditions doivent être réunies pour qu’il en soit ainsi, qu’il s’agisse de bâtiments ou d’ouvrages d’art.
On va démontrer que, pour atteindre ces objectifs, la qualité de l’architecture, à la fois ossature et cœur des ouvrages, est le facteur essentiel de réussite.
À propos « d’architecture », voici quelques idées irréfléchies de personnes qui jugent un ouvrage à l’aune de leurs seules préoccupations prioritaires : ce peut être le coût le plus bas, ou les facilités et économies d’exploitation, ou la sécurité des personnes et des biens, ou l’accessiblité, ou le respect de l’environnement et le développement durable, etc.
Certains, pensant parler d’architecture et en ignorant l’essentiel, la confinent à l’esthétique des bâtiments !
D’autres restreignent le but d’un ouvrage à la satisfaction d’un service : la fonctionnalité d’un ouvrage serait alors le seul but à poursuivre lors de sa conception(1).
Pour d’autres, la seule perfection des équipements techniques suffirait pour obtenir une architecture de qualité.
Aucune de ces préoccupations (et bien d’autres) n’est méprisable, elles constituent des objectifs importants ; mais c’est leur satisfaction simultanée qui permet de parler d’une architecture réussie. Avec la difficulté que, la plupart du temps, il est impossible de tout satisfaire à 100 %. En effet, les contraintes et les objectifs sont, pour beaucoup, divergents, voire en contradiction(2), dans les moyens d’y répondre.
Pour comprendre alors l’étendue de la « fonction d’architecture », on reprendra une énumération assez expressive des valeurs qui doivent guider les concepteurs depuis la prise en charge d’un programme (et de son contexte) jusqu’à la livraison d’un ouvrage, sa mise en service, son exploitation, voire sa déconstruction.
Un ouvrage est « architecture » si ses concepteurs ont réussi la synthèse architecturale(3) des objectifs et contraintes de tous ordres : culturels, sociaux, urbanistiques, environnementaux, esthétiques(4), fonctionnels, techniques et économiques, dans le respect de dispositifs réglementaires et normatifs exceptionnellement nombreux.
Du fait de cette multiplicité et diversité d’objectifs et de contraintes, le rôle des architectes est à la fois complexe et exaltant puisqu’il leur appartient de créer(5) une œuvre à construire, puis à vivre, qui satisfasse « le mieux possible » toutes les préoccupations évoquées ci-dessus, par la pertinence des choix et des multiples arbitrages auxquels les maîtres d’œuvre procèdent tout au long des phases de conception, sous le regard décisionnel du maître de l’ouvrage(6).
En reprenant les facteurs de réussite listés ci-dessus, on va démontrer que l’architecture n’est pas un « petit plus » mais qu’au contraire, elle englobe tous ces facteurs : elle est à la fois l’ossature et le cœur de nos réalisations.
L’une des spécialités françaises est d’encadrer par des textes toujours plus nombreux chacune des actions des citoyens, ainsi que la plupart des produits de leur imagination et de leur travail.
On cite alors plus de 10 000 lois et ordonnances et plus de 100 000 décrets, dont une fraction significative touche, de près ou de loin, les secteurs de l’urbanisme et de la construction. Quant aux arrêtés, il est impossible de les dénombrer, de même que les documents annexés aux textes ! On ajoutera les outils de normalisation, français, européens ou internationaux.
Cette complexité due aux règles, est accrue par leur mouvance (la loi de 1965 sur la copropriété a été corrigée plus de cinquante fois). Les codes sont souvent corrigés, parfois plusieurs fois dans l’année.
Cette situation nécessite évidemment la mise à jour régulière des savoirs, méthodes et outils de tous les professionnels impliqués dans la chaîne de création, de production et d’exploitation de notre cadre de vie.
Aucun de ces textes n’est « créateur d’architecture » ; pourtant, il incombe aux architectes de garder en tête la multiplicité des règles auxquelles leurs créations sont confrontées.
Ce n’est pas parce qu’ils sont assistés par divers sachants susceptibles de les aider dans ces domaines, que les architectes pourraient cesser d’avoir en tête les obligations et effets de toutes ces règles, car elles font partie des enjeux à prendre en considération au fur et à mesure qu’avancera leur travail de conception, depuis le choix d’un « parti » jusqu’à la réalisation des ouvrages et au-delà.
Une analyse superficielle de la conception d’un ouvrage peut faire penser qu’elle n’est que la juxtaposition ou la superposition d’éléments de construction élaborés par divers acteurs consciencieux, tels que les ingénieurs structures (béton, métal, bois ?), les spécialistes de la sécurité, des courants faibles ou de l’éclairage, de l’hygiène, des réseaux ou de l’accessibilité, etc.
Si l’on évoque les énergies renouvelables, chaque spécialiste saurait concevoir son éolienne, son installation géothermique, ses panneaux thermiques ou photovoltaïques, ses accumulateurs d’énergie, mais pour les mettre où et comment ?
Dès que l’on réfléchit à la multiplicité des enjeux à satisfaire, énumérés précédemment, on comprend que l’architecte, premier à intervenir pour proposer un « parti », et qui restera responsable de sa cohérence tout au long de son développement, ne peut être étranger à aucune décision.
En effet, l’architecte joue un rôle essentiel pour : - le choix de chaque matériau et équipement, - leur fonction dans l’ouvrage, - leur positionnement, - leurs performances, - leur aspect, - leur coût, - leur exploitation, - sans oublier leur compatibilité avec tous les autres objectifs, sujets des autres chapitres de la présente étude.
La « structure » d’un ouvrage est un élément d’architecture, même si elle fait l’objet de calculs rigoureux.
Le choix et la conception d’un mode de chauffage(7) ne peuvent être que le fruit d’un travail partagé entre le spécialiste, l’architecte et le maître d’ouvrage.
D’ailleurs, une installation de chauffage est largement dépendante d’autres éléments, tels que les parois extérieures, le type de baie et de vitrages, la ventilation ou climatisation, etc, qui sont autant d’ouvrages à la conception desquels l’architecte participe grandement.
En conclusion sur ce thème, on peut dire que l’architecte, responsable du développement du «parti» initial, participe inévitablement à la conception de tous les éléments d’un ouvrage, si techniques soient-ils.
Le rapprochement de ces deux termes « va de soi » : le maître d’ouvrage établit un programme pour, in fine, disposer d’un ouvrage répondant bien à ses besoins. On n’oubliera pas d’associer l’ergonomie d’usage au service de toutes les personnes amenées à connaître l’ouvrage.
Dès réception du programme, une partie des efforts de l’architecte va être tournée vers la réussite de ce challenge. Quand une opération commence par un concours d’architecture, la fonctionnalité des propositions des candidats est l’un des critères du classement du jury.
C’est sciemment qu’a été écrit ci-dessus « une partie des efforts » puisque le présent article est écrit pour démontrer que de multiples objectifs et contraintes sont à satisfaire parallèlement, alors que leur compatibilité n’est jamais totale.
Rien n’interdit de considérer que la fonctionnalité du futur ouvrage est le but le plus important pour l’opération, mais il n’empêche que chaque autre objectif ou contrainte évoqués par la présente étude est aussi à satisfaire. De ce fait, seul un dosage intelligent entre eux peut aboutir à la réussite d’une opération.
Il n’est pas utile de multiplier les exemples des difficultés de compatibilité rencontrées par les concepteurs, car chaque lecteur professionnel en a rencontrées.
On se contentera de rappeler ce qui a été écrit à propos des coûts : l’élément d’ouvrage le moins cher est rarement celui garantissant aussi la plus grande pérennité, le moindre coût d’exploitation, de réelles facilités d’entretien, la meilleure valeur environnementale, voire l’aspect (toucher, vue) le plus agréable, etc.
Mais on rappellera aussi que d’autres multiples causes peuvent rendre difficile la plus parfaite fonctionnalité : telles les règles d’urbanisme, les servitudes éventuelles, les particularités du site (dont les risques naturels et le climat), les dispositions du terrain, sa géologie, les réseaux, la proximité de monuments historiques, des bâtiments mitoyens en mauvais état, voire en déshérence, etc.
Comme pour tous les autres chapitres, on conclura que l’architecte recherchant la meilleure fonctionnalité du bâtiment qu’il conçoit, doit néanmoins « garder en tête » tous les autres objectifs et contraintes de l’opération.
Ce chapitre est l’occasion de mettre en garde les maîtres d’ouvrage qui, très imprudemment à l’occasion d’un concours, mettent comme critère (éliminatoire) du choix d’un lauréat, le respect strict de leur programme, sans se rendre compte que c’est un objectif tellement restrictif, qu’il peut faire obstacle à la qualité même du projet, puis de l’ouvrage. C’est être dans l’ignorance des effets bénéfiques induits par la recherche architecturale sur le programme, au fil des études d’un projet.
C’est aussi occulter le devoir de tout maître d’ouvrage de mettre à jour un programme établi de nombreuses années avant la mise en service d’un ouvrage.
On peut espérer que les divers chapitres de la présente étude aideront les maîtres d’ouvrage à choisir le ou les bons critères pour désigner le lauréat d’un concours d’architecte. Tout en rappelant que le maître d’ouvrage doit s’interdire de les pondérer, car un projet se juge d’une manière plus profonde, dans la globalité de ses qualités... et de ses éventuelles imperfections (on renverra aux paragraphes précédents sur la « compatibilité »). Et pour ceux qui ont compris, le caractère « englobant » de l’architecture, les termes de « valeur de la qualité architecturale » peuvent constituer l’unique critère de choix d’un projet.
Enfin, on ne quittera pas ce chapitre sans parler de la « productivité » des personnes amenées à utiliser tel ou tel ouvrage.
Il est acquis que le cadre dans lequel travaillent les utilisateurs d’un bâtiment, participent grandement à leur bien-être, et partant, à la qualité de leur production.Comment un maître d’ouvrage peut-il hésiter à donner aux maîtres d’œuvre le temps et les moyens de concevoir un très bon environnement de travail, dès que l’on a réfléchi à la valeur ajoutée d’une bonne productivité qui peut rapporter plusieurs fois la valeur d’un modeste surcoût de conception.
Est-il nécessaire de rappeler le rôle de l’architecture sur les relations entre les citoyens, sans oublier l’aménagement du territoire, les infrastructures, les espaces ruraux, l’histoire des cités, etc.
Néanmoins, les réalisations architecturales sont celles qui rapprochent le plus les personnes : on peut répéter ce qui a déjà été écrit : « Les lieux créent des liens ».Dès la crèche, les enfants sont forcément sensibles à la configuration des lieux et à l’ambiance de chacun des espaces, non seulement pour les rapports qu’ils entretiennent entre eux, mais aussi par la place affectée aux adultes qui s’occupent d’eux.
On n’épiloguera pas sur la valeur sociale de tous les lieux de rassemblement, qu’il s’agisse d’enseignement, de sport, de spectacle, de musée, de foires, de marchés, de commerce, voire d’ouvrages plus spécialisés comme un établissement sanitaire ou un tribunal.
Pour un hôpital, outre la réussite des autres objectifs (chapitres précédents et suivants) la « bonne » architecture doit permettre l’efficience des activités sans sacrifier le confort des patients ; elle doit favoriser des rencontres apaisées entre tous les acteurs : personnels administratifs, médicaux et techniques, consultants, patients hospitalisés, visiteurs et, pour certains établissements, des étudiants. Pour reprendre les termes d’une affiche éditée par l’Ordre des architectes « Le premier qui a travaillé pour votre santé, c’est l’architecte ».
Quand on évoque des lieux apparemment plus communs tels que le logement, l’acuité des rapports entre les personnes est encore plus prégnante.
« Réussir » un ensemble de logements est un objectif passionnant pour les architectes : challenge accessible pour la plupart des réalisations.
Mais l’exercice devient périlleux quand les habitants cessent de respecter à la fois les lieux et leurs voisins. Quand des personnes vivent pendant des décennies dans des espaces régulièrement dégradés (bris des ouvrages, tags, saleté), sont-elles enclines à bien se comporter dans le reste de la cité ? L’architecture n’est pas impuissante (configuration judicieuse des espaces, solidité, net-notabilité, portillons « blindés » des boîtes à lettres ?), mais elle doit admettre ses limites.
L’accès à l’art semble laissé au choix de chacun : on peut décider, en toute liberté, de ne pas fréquenter les musées (peinture, sculpture...), de ne jamais assister à un spectacle (théâtre, cinéma, ballet...), de ne jamais écouter de musique, et même de renoncer à la lecture (littérature, poésie...).Mais cette liberté individuelle ne s’étend pas à toutes les manifestations de l’esprit ; en particulier, personne ne peut échapper à l’architecture, parce qu’elle est un constituant essentiel de notre cadre de vie.
C’est d’ailleurs ce qui justifie les dispositions de la loi n° 77-2 du 3 janvier 1977 sur l’architecture.
Les français ont la chance d’avoir un pays doté d’un patrimoine architectural exceptionnel, par son ampleur, par sa diversité, par sa répartition sur tout le territoire et par sa qualité qui justifient chaque année la venue de millions de visiteurs étrangers.
La valeur culturelle de l’architecture n’est pas contestée, notamment parce que celle-ci, en plaçant sous le regard du public des bâtiments de toutes natures et de tous âges, expose des modes constructifs et des styles en perpétuelle évolution : l’architecture est aussi un marqueur de l’histoire.
On rappellera que la valeur culturelle de « l’architecture » n’est pas cantonnée aux monuments.
Il y a aussi des quartiers et des villages « anciens » tout à fait remarquables.
Les ouvrages les plus modestes comptent dans le regard et l’esprit des gens.
Cette richesse et cette diversité du patrimoine tiennent beaucoup à la liberté de leurs créateurs et à l’émulation entre constructeurs appelés à confronter leurs créations.
Il eût été consternant, soi-disant par respect du passé, de stopper cet enrichissement. La production d’œuvres exceptionnelles n’a jamais cessé, tout comme celle d’ouvrages moins emblématiques mais tout aussi remarquables : le patrimoine du vingtième siècle est reconnu et vise largement le logement.
Aujourd’hui, dans des ouvrages soumis à tant de contraintes et devant satisfaire tant d’objectifs différents (voir les autres chapitres), comment doit-on procéder pour pouvoir encore parler de la valeur culturelle de nos réalisations ?
Il existe divers moyens : il y en a au moins trois à notre portée :
– les maîtres d’ouvrage doivent être convaincus que leur bâtiment jouera inévitablement un rôle culturel, et qu’il vaut mieux que ce soit une réussite, même s’il s’agit d’ouvrages « courants », pas seulement pour les « ouvrages-monuments »(8) ;– ils doivent choisir les créateurs aptes à réussir ce challenge ; on rappellera que, seuls, les architectes ont reçu une formation les préparant à répondre à toute la variété des objectifs affectés aux ouvrages et cités dans la présente étude ;
– ils doivent donner aux architectes la liberté de penser « valeur culturelle » et les moyens de réfléchir, même longuement, pour faire la meilleure synthèse des multiples choix tout au long du processus de création : la valeur culturelle de l’ouvrage que l’architecte conçoit est une préoccupation importante, même si elle est en compétition avec les autres objectifs.
D’où la nécessité d’une synthèse architecturale permanente au cours des études d’un projet.
Ce chapitre complète le précédent.
On n’aura pas ici l’audace de définir le « beau ». Il suffit d’entrer dans les musées pour comprendre que chaque personne a son propre jugement sur les œuvres exposées.
Appréciations personnelles, nourries de tout ce que les personnes ont vu depuis leur naissance, mais aussi, fruits de l’éducation reçue.
Les œuvres peuvent susciter une émotion esthétique, du plaisir, de l’indifférence, voire de l’hostilité, elles peuvent « déranger ».
On rappellera alors ce qui a été écrit ci-dessus sur la valeur culturelle de l’architecture : personne ne peut « renoncera » à l’architecture.
Les « créateurs d’architecture » ne sauraient donc avoir la même liberté que les artistes qui peignent, sculptent, composent, écrivent, et qui ne se soucient pas de voir éventuellement leurs œuvres rejetées.
De ce fait, les maîtres d’ouvrage et les maîtres d’œuvre ont la responsabilité d’offrir à tous ceux qui auront l’occasion d’utiliser ou seulement de voir leurs réalisations, des bâtiments susceptibles, soit seulement d’inspirer l’adhésion, soit d’enrichir positivement leur regard (l’esprit ?), et si possible, de faire évoluer leur jugement.
Car il ne saurait être question de figer l’architecture : on pourrait même écrire que l’innovation, l’inventivité et même l’expérimentation font partie des « devoirs » des maîtres d’œuvre.
C’est donc pour ceux-ci un exercice toujours difficile entre le confort du passé et l’audace du lendemain.
La partie est gagnée quand d’éventuelles résistances initiales laissent la place à l’admiration du plus grand nombre et servent d’exemples pour la suite.
On conclura en disant que la réussite esthétique d’une réalisation, toute difficile à définir, n’en est pas moins une obligation des constructeurs. Et pour cela, les maîtres d’ouvrage sont obligés de s’en remettre au talent de leurs maîtres d’œuvre, principalement architectes.
Comme pour tous les chapitres de la présente étude, on a compris que la valeur esthétique n’était que l’un des constituants de l’architecture(9).
Les règles d’urbanisme sont d’abord un cadre fixé au départ de toute réalisation.
Tout au long de leurs tâches de création, les architectes doivent donc avoir en tête les limites à l’intérieur desquelles ils doivent se tenir.
Mais le rapprochement des deux termes « architecture » et « urbanisme » a du sens.
Toute réalisation s’inscrit dans un contexte, qui peut être rural ou urbain : l’architecture ne doit pas seulement s’inscrire harmonieusement dans ce contexte : elle doit l’enrichir.
Car le patrimoine d’une ville est principalement fait de la juxtaposition des ouvrages de toutes natures insérés au fil des années, des décennies ou des siècles.
Les exigences des valeurs urbanistiques, culturelles et esthétiques doivent être conjuguées si l’on veut que chaque réalisation apporte sa contribution dans la qualité du « cadre de vie ».
On ne manque pas de termes pour évoquer la nécessité de ne pas détruire la nature : haute qualité environnementale, développement durable, effet de serre, énergies renouvelables, bâtiments responsables RBR 2020, bas (ou zéro) carbone, analyse du cycle de vie, etc.
Le maître d’ouvrage peut s’en tenir au respect des règles applicables dans ce domaine, ou avoir des objectifs plus ambitieux.
Dans tous les cas, l’architecte est un acteur majeur dans les choix opérés pour y répondre, puisque toutes les parties élémentaires d’une construction participent, peu ou prou, à l’obtention des résultats attendus.
On ne se contentera pas de penser parois extérieures. Chaque élément de la création d’architecture a son rôle au regard de l’écologie, ne serait-ce qu’en prenant en considération ses conditions de fabrication, de transport, d’entretien, voire de recyclage.
On ajoutera que la configuration des espaces et leur équipement joue un rôle dans l’usage qu’en font les utilisateurs : l’architecture peut donc favoriser les comportements vertueux de ceux-ci.
Les objectifs d’environnement, importants dans le processus de la création architecturale, ne doivent pas occulter les autres préoccupations commentées par chaque chapitre de la présente étude : la satisfaction simultanée de celles-ci est un facteur déterminant de la réussite architecturale d’un ouvrage.
Ce sujet est traité à la fin de la présente étude, parce que chacun des innombrables choix faits et décisions prises au cours des étapes de conception, jouent un rôle dans l’économie d’un ouvrage ; bien évidemment, on ne restreindra pas l’économie au seul prix des travaux.
On ajoutera qu’au fil des décennies, le champ de l’économie des ouvrages n’a cessé de s’élargir, notamment parce que le développement durable continue d’étendre ses objectifs : on commence à prendre en considération le cycle de vie des matériaux et matériels. L’accroissement des composants du « coût global » continuera sans doute.
Mais, tout au long du présent article, on a mis en évidence le fait que les multiples préoccupations que l’architecte concepteur doit avoir constamment en tête, sont, au moins pour partie, en « concurrence » les unes avec les autres(10).
Il appartient donc au maître d’ouvrage d’orienter l’architecte chargé de concevoir le futur ouvrage, quant à ses objectifs majeurs(11).
Il faut être clair : certes sous le regard décisionnel du maître d’ouvrage, ce sont les choix architecturaux qui entraînent les coûts de réalisation et ceux d’exploitation.
Précisément parce que les choix architecturaux sont les fruits des réflexions et des arbitrages portant sur tous les sujets commentés dans les chapitres précédents(12); ils sont le reflet des équilibres réfléchis entre des objectifs souvent divergents ; ils incluent les conséquences des décisions prises tout au long de la conception.
Il faut néanmoins rester modeste, aussi bien dans l’évaluation initiale des projets que dans les coûts futurs de l’ouvrage.
À un certain stade (APD ?) de la conception des projets, les maîtres d’œuvre peuvent calculer (et ils ne manquent pas d’outils pour le faire) le coût probable (ou « raisonnable ») pour la réalisation d’un ouvrage.
Pas plus, car il est utile de rappeler que le vrai prix d’un ouvrage n’existe pas(13).
En particulier, croire que les prix des marchés conclus par un maître d’ouvrage avec chaque entrepreneur, sont les « vrais prix » des ouvrages est une erreur.
Ces prix sont seulement le résultat d’une multitude de circonstances prises en compte par les entreprises, le jour où elles ont établi leurs prix. Une consultation reportée donnera des résultats différents : où est le « vrai prix » ?
Chaque professionnel a reçu un jour des offres anormalement basses, sans pouvoir toujours les éliminer légalement : une OAB donne-t-elle le « vrai prix » ?
En dehors de cette situation, le « vrai prix » est-il celui de l’offre la plus basse qu’un maître d’ouvrage va retenir ?
On pourrait le penser et pourtant c’est inexact, car si, pour une raison quelconque, (personnel de l’entreprise surchargé, carnet de commande brutalement rempli, « bug » informatique, élimination en raison d’une pièce manquante, etc) cette offre n’était pas parvenue ou n’avait pas été ouverte par le maître d’ouvrage, celui-ci aurait contracté avec l’entreprise présentant l’offre suivante : son prix devient-il un énième « vrai prix » ?
On en déduira que les lois de l’offre et de la demande et les situations économiques font constamment varier le prix des ouvrages. Il est donc parfois injuste d’accuser les maîtres d’œuvre de sous-évaluation ou de surévaluation des prix, alors que leur estimation était peut-être la plus « juste ».
Quant aux coûts futurs d’exploitation « estimés », que dire du prix de l’électricité ou du personnel sur les décennies qui suivent la mise en service d’un bâtiment ?
Résumons : nonobstant les difficultés expliquées ci-dessus, la prise en considération permanente des coûts fait partie intégrante du travail d’analyse et de réflexion des maîtres d’œuvre à propos de tous les autres thèmes.
Le BIM donne aux concepteurs de formidables atouts, mais il présente quelques risques.
Les facilités de communication et de transmission des données peuvent être utilisées dès le début des études : l’architecte devant choisir entre plusieurs « partis » nés de son imagination, pouvant poser des problèmes de structure, peut consulter l’ingénieur spécialisé de son équipe(14).
Sur n’importe quels sujets, il peut y avoir « travail collaboratif ». Mais il faut garder raison : la transmission des données (sans ressaisie) est un avantage important (même si elle existe depuis longtemps), mais l’idée de l’instantanéité n’est pas réaliste : pour exemple, un ingénieur en charge d’une douzaine de projets ne va pas virevolter en permanence entre ceux-ci. D’autant que la réponse aux problèmes rencontrés sur tel ou tel projet nécessitera toujours du temps de réflexion, de simulations et de calculs.
Un des atouts du BIM est de pouvoir « charger » la « maquette » d’une multitude de données, mais on oublie fautivement de dire que chaque information fournie à la maquette, devrait être consciencieusement réfléchie : pour donner un exemple très élémentaire, un faux-plafond n’est pas sorti au hasard d’un catalogue, fut-il numérisé : il faut avoir préalablement décidé quels seront ses rôles (fonction esthétique, sécurité, correction acoustique, chauffage par rayonnement, etc.), quels réseaux lui seront superposés, quels équipements seront à y incorporer (luminaires, détecteurs, bouches d’entrée ou de sortie d’air), quels coûts, etc. ?
Un autre atout du BIM est l’automaticité d’un certain nombre de calculs. L’exemple le plus banal mais considérable est celui de la « quantification » de chaque élément d’une construction, qui peut par exemple être fournie aux entreprises pour établir leur quantitatif estimatif et leur offre.
En outre, le BIM peut être élargi à de très nombreuses fonctions ; on peut faire souffler le vent ou faire tourner le soleil autour d’un bâtiment.
Mais là encore, il faut garder raison : chaque performance annoncée du BIM nécessite des outils très spécialisés : le nombre de logiciels ne cesse d’augmenter, et on évoquera aussi leurs mises à jour successives « améliorées ».
Le principal danger du BIM est la sclérose prématurée du projet, quand on veut, dès le départ, y faire entrer trop d’informations.
Tout d’abord, revenir parfois en arrière fait partie des moyens d’améliorer un projet.
Prétendre qu’il suffit d’un simple clic pour changer la position d’une cloison entre deux espaces publics est inexact. Car une grande partie des ouvrages devra de nouveau être « réfléchie », et pas seulement le nombre « d’unités de passage ». Ce peut être la structure même de la cloison si les hauteurs sont différentes. Ce sont tous les équipements (voir ci-dessus pour un faux-plafond) qui doivent être repensés. Ce sont peut-être les revêtements et les couleurs, etc.
Ensuite il faut se méfier des indications données « par défaut » (copier-coller, choix par un acteur dont ce n’est pas le rôle), car, paresse ou inattention des concepteurs, on oublie souvent de repenser à la pertinence de tel ou tel choix.
Finalement, si l’on veut que tous les facteurs de qualité des ouvrages, qui font l’objet des chapitres de la présente étude, soient pris en considération et satisfaits le mieux possible, il est peut-être nécessaire d’avancer prudemment dans l’enrichissement progressif de la maquette numérique.
On a montré que la qualité architecturale d’un ouvrage dépendait de la satisfaction la plus complète possible des préoccupations et des divers objectifs concernant chacun des domaines évoqués dans la présente étude.
Cette qualité nécessite :
– la pertinence du parti proposé initialement par l’architecte ;
– la cohérence des choix faits et des décisions prises tout au long du développement de ce parti ;
– l’équilibre réfléchi entre les réponses apportées. Dans le processus de création d’un ouvrage, les valeurs de l’architecture irriguent à la fois l’ouvrage complet et chacun de ses constituants. On peut dire que l’architecture est à la fois ossature et cœur des ouvrages.
Gilbert Ramus, Membre de la Commission juridique de l’UNSFA, Union nationale des syndicats français d’architectes.
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(1) Une telle pensée peut avoir des effets monstrueux : décide-t-on et conçoit-on un barrage avec l'unique préoccupation de fournir une certaine quantité d'électricité ? Non, et c'est heureux. On peut faire l'économie de la démonstration en évoquant seulement les effets d'un tel ouvrage, en matières sociales, culturelles, environnementales, agricoles, esthétiques, voire touristiques, ou en termes d'aménagement du territoire, ou dans le domaine stratégique en cas de conflit, etc.
(2) La pertinence des innombrables choix à opérer au cours de la conception est un challenge difficile ; par exemple, et seulement à propos des coûts, en supposant égaux les autres facteurs (mais ceux-ci divergent aussi) : - un matériau bon marché n’est pas forcément le plus pérenne ou le plus écologique, - l'argent consacré à l'intérieur d'un ouvrage n'est plus disponible pour les aménagements extérieurs, - le moindre coût d'un équipement engendre rarement le coût d'exploitation le plus réduit et, a contrario, le surcoût d'un équipement surpuissant peut ne pas être rentable, - etc.
(3) Le terme de « synthèse architecturale » n'est pas une invention de l'auteur : elle figure, pour justifier la « mission de base » en commande publique, à l'article 7 de la loi MOP. Voir aussi Passion-architecture n° 55 : « Synthèse architecturale, clé de la qualité des ouvrages ».
(4) Le lecteur a déjà compris que, dans cette énumération, la faute la plus grave serait de remplacer « esthétiques » par « architecturaux », car ce serait exclure de l'architecture toutes les autres valeurs qui pourtant sont au cœur de celle-ci.
(5) Le Code de la propriété intellectuelle institutionnalise la création architecturale en protégeant les auteurs des « œuvres d'architecture » (CPI, art. L. 112-2-7°) et les « plans, dessins et ouvrages relatifs à l'architecture » (CPI, art. L. 112-2-12°).
(6) Ces termes ne seront pas répétés dans chaque chapitre de la présente étude, mais il est parfaitement clair que chaque option, chaque arbitrage, chaque choix de l’architecte sont subordonnés à la validation du maître de l’ouvrage (ce peut être des validations spécifiques pour certaines décisions majeures ou plus globalement, phase par phase).
(7) Même pour une installation banale de chauffage, l'architecte est décisionnaire dans le positionnement des réseaux d'alimentation et l'organisation de la sous-station ou de la chaufferie, et dans le choix, le format et le positionnement des radiateurs. Il n'y a que pour les calculs qu'il s'en remet généralement aux savoirs de ses partenaires.
(8) Pour le député Patrick Bloche, le rôle de l'architecture s'étend bien au-delà des œuvres extraordinaires, car ce que l’on attend des architectes, c’est aussi leur capacité à créer de « l'ordinaire-extra ».
(9) Haro sur ceux qui confinent l’architecture dans la seule esthétique des ouvrages.
(10) Il est facile (voire tentant) pour un concepteur isolé de faire de la surqualité, voire du suréquipement dans sa propre spécialité. Pourtant, un suréquipement ou une surqualité onéreux sur quelques postes aboutit toujours à la réduction des montants à investir dans les autres postes. C'est pourquoi un arbitrage permanent entre les coûts doit être assuré : c'est le parti architectural accepté par le maître d'ouvrage qui guide les concepteurs pour assurer un équilibre intelligent entre les coûts de chaque élément de l'ouvrage.(11) Un long développement n'est pas nécessaire pour constater que le plus faible coût au m2des surfaces d'exposition n'était pas l'objectif des maîtres d'ouvrage de la fondation Cartier en 1994 ou de la fondation Vuitton en 2016.
(12) On n'oubliera pas d'écrire que les calculs opérés par chacun des spécialistes à propos des coûts et des performances sont indispensables pour guider la maître d'ouvrage et l'architecte au fur et à mesure des études d'un projet.
(13) Voir le n° 32 de la revue Passion architecture « A la recherche du vrai prix ».
(14) C’est l’occasion d'écrire que l'architecte n'inclura pas dans son équipe le même spécialiste, selon la structure vers laquelle il s’oriente : béton, métal, bois, câble, membrane, etc.
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