Corse

Journée des Architectes 2021 à Bastia : discours et allocutions

Le Conseil de l'Ordre des Architectes de Corse a organisé vendredi 8 octobre 2021 sa journée annuelle, à Bastia. Au programme : Assemblée Générale, échanges avec les élus, exposition, présentation de projets de concours, conférence de Bernard Quirot, et prestations de serment. En attendant la rediffusion de la conférence de Bernard Quirot, parrain de la promotion des nouveaux inscrits, voici les discours et allocutions de la Présidente Sylvia Ghipponi, de la Vice-Présidente Amandine Albertini, et du Président 2017-2021 Sébastien Celeri.
Mis à jour le
1 mai 2024
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Discours d'ouverture

Par Sylvia Ghipponi, Présidente

 

Bonjour à tous et merci d’être venus nombreux,

Deux ans et demi que nous ne nous sommes pas réunis en journée annuelle. La dernière avait eu lieu à Corte en 2019, sous la présidence de Sébastien Celeri. L’édition 2020 avait dû être annulée pour cause de Covid. Elle était prévue à Bastia, avec une conférence de Bernard Quirot, qui devait être le parrain de la promotion des nouveaux inscrits. Le nouveau Conseil a tout fait pour que la conférence et le parrainage de Bernard Quirot soient maintenus en 2021. Nous aurons donc le plaisir de l’entendre tout à l’heure.

Nous aurons plusieurs temps dans cette journée : échanges professionnels, avec les élus, exposition, conférence, prestations de serment. Je vais commencer par un temps plus théorique.

Madame la Présidente de l’Assemblée de Corse, Mme Maupertuis, je vous remercie, au nom de nous tous, d’être présente aujourd’hui. Je vais introduire cette journée en parlant d’un sujet que vous connaissez bien. Puisqu’il s’agit d’autonomie. Et ce concept s’applique aussi à l’architecture. Autonomie de la discipline, autonomie de la profession. Architecture autonome. Ville autonome. Bâtiment autonome… Quel sens donner à ce concept principalement philosophique et politique, appliqué à l’architecture ?

Le concept d’autonomie en architecture a été introduit par Emil Kaufmann en 1933 dans son ouvrage intitulé « De Ledoux à Le Corbusier : origine et développement de l’architecture autonome », dans lequel il considérait que la rupture radicale du Mouvement moderne avec le style Beaux-Arts était déjà présente dans l’œuvre visionnaire des « architectes révolutionnaires » du 18ème siècle.

Si l’on continue à explorer l’histoire de l’architecture : Viollet-le-Duc, le mouvement moderne, Manfredo Tafuri et Archizoom, puis Aldo Rossi, Colin Rowe, Eisenman… tous font évoluer l’idée d’autonomie en architecture. On ne le développera pas ici.

A partir des années 80, période des productions dites « déterritorialisées » ou « a-culturées », il faut s’intéresser au mouvement du « régionalisme critique », considéré comme une autre réponse post-moderne, qui lutte contre la globalisation et « l’aplanissement de la diversité naturelle et culturelle du monde », pour reprendre une expression de Liane Lefaivre et Alexander Tzonis que j’aime beaucoup.

On peut considérer que cette approche architecturale s’exprime par le dialogue : dialogue avec l’histoire, entre les époques, dialogue avec la nature, le paysage, le site, dialogue entre les matières. Elle « fait corps », attentive au contexte, dans une démarche d’auto-évaluation, et ce dialogue constitue une forme d’autonomie, dans le sens d’une expression en interaction avec les autres, selon sa propre nature.

Mais cette globalisation dénoncée dans les années 80 par le « régionalisme critique », cette uniformisation de l’architecture, est toujours en marche aujourd’hui. Il n’y a qu’à regarder nos périphéries et les zones d’urbanisation récente pour le constater.

Dans son livre « Simplifions », Bernard Quirot, que nous accueillons tout à l’heure, considère que c’est « le renoncement à l’expression d’un principe constructif concrétisant un site qui fait que les bâtiments sont les mêmes à Paris, Londres, Marseille ou Rome et que toutes nos périphéries se ressemblent. Nous devons réapprendre à composer avec la matière et à nous saisir des caractéristiques d’un lieu ».

Il ajoute qu’« il existe des lieux qui échappent encore à l’uniformisation imposée par ailleurs et où il est encore possible de faire de l’architecture ».

Nous espérons que la Corse sera un de ces lieux et la qualité de nombreux projets réalisés ces dernières années nous font penser que nous sommes sur la bonne voie.

Ici, en 50 ans, le nombre de logements a plus que doublé. Une augmentation bien plus importante que sur le continent. Cette urbanisation rapide et violente s’est opérée dans un emballement qui nous a fait perdre le sens profond de l’architecture, et qui se prolonge aujourd’hui, comme le dit Bernard Quirot, en « faisant de nos bâtiments des assemblages de produits industriels qui nous sont dictés par les forces du marché et du numérique ». « Dictés », on voit qu’il est encore question d’autonomie.

Cet emballement a aussi nié les caractéristiques géographiques et culturelles des sites et paysages, urbanisant à contre-courant des zones aujourd’hui soumises à des risques climatiques de plus en plus graves et fréquents : crues, inondations, érosion, recul du trait de côte…

L’architecture subit donc toujours des règles, une « loi » qu’elle reçoit du dehors au lieu de la tirer d’elle-même : forces du marché et tutelle du pouvoir numérique, selon l’expression de Bernard Quirot, exigences de la rentabilité économique qui priment sur la qualité, nombreuses lois et réglementations…

Alors qu’il faut remettre l’architecture et l’architecte au centre de l’acte de construire et de rénover, on observe souvent, au contraire, une dépréciation de l’architecture, et une dégradation conséquente principalement de la dégradation des conditions de faire le projet : périphérisation de la profession, complexification, décomposition de la mission de maîtrise d’œuvre en de multiples intervenants (AMO, économiste, BIM…).

L’architecte est pertinent sur son territoire, sur les aspects techniques, historiques, sociaux, culturels et humains. Il doit être sollicité à ce titre pour tout projet concernant les territoires car son apport est déterminant.

L’architecte continuera à défendre la qualité architecturale et à ouvrir des perspectives pour que la profession puisse faire son travail dans de bonnes conditions. Pour l’intérêt public.

Et comme le rappelle Bernard Quirot, « ce métier n’a de sens que politique dans la mesure où il vise le bien de la collectivité et qu’il ne peut se penser que dans un étroit rapport avec les autres champs de la connaissance ».

 

Echanges entre architectes & élus

par Sylvia Ghipponi, Présidente

 

Nous allons maintenant poursuivre le programme de la journée en accueillant Antonia Luciani, Conseillère exécutive en charge de la culture, du patrimoine, de l’éducation et de la formation.

Et Monsieur Pierre Savelli, Maire de Bastia, que l’on remercie pour l’accueil « gracieux » dans cette salle et dans les jardins suspendus ce soir.

A l’échelle de la Collectivité de Corse, comme à l’échelle de la ville, le projet d’aménagement, le projet urbain, et le bâtiment, transforment nos cadres de vie.

C’est une belle et lourde responsabilité que portent les élus qui fabriquent la commande publique et aménagent le territoire.

Madame la Conseillère exécutive, Antonia Luciani, vous êtes urbaniste de formation, vous aviez organisé une exposition sur les centres commerciaux en Corse, qui après Bastia, dans cette salle, avait été présentée dans nos locaux à Ajaccio. Vous y mettiez en évidence le fait que la Corse, championne de la surface commerciale par habitant, subit de plein fouet les effets de ce suréquipement : étalement urbain, utilisation de la voiture, dégradation de notre environnement…

Aujourd’hui, vous êtes en charge de la culture, du patrimoine, de l’éducation et de la formation à la Collectivité de Corse. Quatre sujets qui intéressent particulièrement les architectes.

Nous aurons bientôt j’espère l’occasion de vous présenter notre feuille de route concernant le développement de la recherche à l’Université, la formation, et la création d’une école d’architecture en Corse.

Concernant le patrimoine, vous nous avez rappelé que la mandature qui vient sera l’occasion de concrétiser les projets de valorisation de quatre sites patrimoniaux majeurs : Site Montlaur à Bonifacio, Château de la Punta à Ajaccio, Citadelle de Corte, Couvent Saint-François à Bastia.

Alors de façon plus générale, Madame la Conseillère exécutive, on vous demandera quelle place occupera l’architecture dans votre mandat ?

Monsieur le Maire, Pierre Savelli, vous avez accepté de partager un moment avec nous pour nous parler des projets de Bastia, passés, en cours, et à venir.

Des projets ont récemment été bien accueillis, par la profession et par le public, je parle notamment du Mantinum (de Buzzo Spinelli Architecture & Antoine Dufour Architectes) et de l’Aldilonda (de Dietmar Feichtinger & Buzzo Spinelli Architecture).

Le Mantinum, outre ses qualités urbaines, est aussi un projet démonstrateur sur le plan du circuit court et du recyclage des déchets de chantier, par la mise en œuvre d’un béton de site qui réutilise les déblais du site excavé. On imagine que ça n’a pas été simple de conduire un projet comme celui-là.

Parmi les futurs projets, il y a l’aménagement des quais du Vieux-Port, dont les trois projets du concours sont exposés ici.

Michel Puccini, représentant de l’équipe lauréate IN SITU + ADP Architectes, aura ensuite l’occasion de nous présenter leur projet.

Mais il y a aussi la restructuration du théâtre, la réhabilitation du Couvent Saint-François, la rénovation du quartier du Puntettu, le projet d’aménagement autour de la Gare, l’ilot de la Poste, la piscine Vasca marina… et là nous n’avons parlé que du centre-ville historique.

Revitaliser le centre-ville, protéger le patrimoine bâti, développer : quelle relation entretenez-vous avec l’architecture et les architectes pour y parvenir ?

 

Présentation de Bernard Quirot

par Sébastien Celeri, Conseiller et Président 2017-2021

 

Bernard Quirot est architecte.

Diplômé de UP8 en 1986,  pensionnaire de la Villa Médicis en 1988, il est lauréat de son premier concours public un an plus tard, pour « le plus grand bâtiment qu’il lui sera donné de construire ». Après avoir exercé à Paris et Besançon, il installe son agence en 2008 à Pesmes, petit village de Franche-Comté. Par « réaction face à la dégradation des conditions d’exercice de notre métier » écrit-il, mais surtout par volonté de s’investir dans le devenir de son village avec l’ambition de lui donner un rayonnement  par l’action de terrain et participer ainsi à la reconstruction du lien social. Il fonde alors en 2014 l’association « avenir radieux – architecture, patrimoine environnement » qui conseille, accompagne et sensibilise particuliers comme collectivités.  En 2015, il est lauréat du prix de l’Equerre d’Argent pour la maison de santé de Vézelay et en 2018, il est nommé au Grand Prix National d’Architecture.

En 2019 paraît SIMPLIFIONS aux éditions COSA MENTALE.

« Simplifions »

Par cette injonction, Bernard Quirot nous exhorte à rendre visibilité et clarté à l’architecture, noyée à l’image du monde dans une « complexité factice » (selon les mots du philosophe Alain Badiou qu’il cite lui-même en préambule) qui la rend illisible. Il nous propose du moins d’essayer, en revenant « à l’essentiel ».

En philosophie, est essentiel ce qui relève de l’essence, autrement dit la substance de l’être, ce qui fait qu’une chose est ce qu’elle est. Pour Bernard Quirot, l’essentiel est ce en quoi il croit. Le tropisme suisse assumé de l’auteur nous renvoie vers le credo de l’architecte tessinois Livio Vacchini, dernier chapitre de son ouvrage capolavori paru en 2006 aux éditions du linteau. Mais à la différence de ce dernier, « dogme inébranlable », le credo de Bernard Quirot est adogmatique, puisant au-delà des règles de la proportion, des nombres et de la géométrie dans la mémoire intime, le sentiment, le hasard, l’obsession.

L’un des piliers de ce credo est la matérialité. Le jeune Bernard Quirot tout juste diplômé en prend alors progressivement conscience quand il se retrouve « immergé dans la puissance de la matière » de l’architecture de Louis Kahn, et paradoxalement en étant quotidiennement confronté à sa disparition progressive sous les multiples couches, peaux et doublages enveloppant l’architecture au fil de l’évolution des techniques et des « nouveaux » matériaux, confinant la structure à l’abstraction.

On y comprend un constat que l’architecture a perdu progressivement son indépendance sacrée pour se confondre avec la science de l’ingénieur et le produit de l’industrialisation, projection bâtie des modes de vie et de consommation de la société productiviste et du capitalisme.

Or, la matière est l’essence.  Elle « nous rattache à la Terre », écrit Bernard Quirot, « et c’est grâce à elle, à la manière dont elle est travaillée et mise en œuvre, que nous sommes quelque part » poursuit-il.

Ce travail de la matière produit l’émotion, celle que l’on ressentira dans l’espace et la lumière, dans la force structurelle du bois ou du béton, dans les traces des bouchardes et marteaux des tailleurs de pierre, dans les mouvements encore perceptibles de la main qui ont sculpté dans l’enduit frais les courbes et contrecourbes d’un stuc baroque.

Quid de ce rapport à la terre ? A l’instar de l’arbre qui y prend profondément racine pour s’élever, la terre est le fondement de ce qui constitue pour l’Homme son rapport au monde. Nous sommes partie intégrante de notre environnement, prolongement de la terre par notre enracinement. En étant sur la terre nous sommes en possibilité d’élévation.

Par son rapport à la matière, le credo de Bernard Quirot me renvoie vers l’une des œuvres écrites qui m’aura le plus durablement marqué : Les pierres sauvages, de Fernand Pouillon, dont il se retrouve dans la lignée en ce qui concerne sa recherche de la vérité. Sous le premier titre d’alpha et oméga, ce roman de sa vie est construit comme le journal du moine cistercien chargé au XIIe siècle de diriger la construction de l’abbaye du Thoronet.

L’ouvrier s’y confond avec l’œuvre et sa matière :

« Je peux [dit le narrateur] et je dois me décomposer en claveaux, me ressentir clef de voûte, sommier ou voussoir, reconnaître la pierre dans ma chair, la regarder comme ma propre peau.

La structure est tout, la forme est tout, la matière est tout. Comment expliquer ce mystère si l’on n'admet pas que l’homme contient ces tout sous son propre toit.»

Ainsi, du « mystère des origines », premier chapitre ce cet ouvrage manifeste, au constat parfois désabusé mais conclu par l’optimisme inhérent à l’esprit qui pense en projet, Bernard Quirot nous assure que par la simplicité et l’humilité, première vertu de l’architecte, nous trouverons le sublime et, qui sait, un « avenir radieux » ?

 

Allocution & Prestations de serment

Par Amandine Albertini, Vice-présidente

 

« La prestation de serment est un acte fort qui célèbre officiellement l’entrée dans la profession des architectes nouvellement inscrits à l’ordre. Au delà du symbole, le serment est un engagement concret et solennel par lequel l’architecte jure de respecter la déontologie et les devoirs de la profession autour de la notion fondamentale d’intérêt public qui guidera son action dans la société. » Sébastien Celeri

On entend souvent que « L'architecture est l'art majeur de concevoir des espaces et de bâtir des édifices ».
Je ne sais pas si cette définition nous convient. J’aime à croire que non.
En tout cas pas en totalité. J’aime à croire que notre rôle est avant tout celui d’émettre un avis, de poser un regard, tant sensible que sensé sur ce qui nous entoure.
Nous sommes ici réunis, pour vous donner le « droit » à construire, c’est vrai, mais il me semble important de partager ce constat avec vous.
Construire, c’est facile.
Réparer, ça l’est déjà un peu moins, mais alors… Déconstruire… c’est là que ça se complique.

En psychologie, la déconstruction ne consiste pas à détruire mais plutôt à essayer de penser : comment les choses sont-elles arrivées ?
Le concept interroge les présupposés des disciplines pour en défaire les évidences.
Alors, si on applique le concept de déconstruction à l’architecture ça donne quoi ?
Outre le fait d’essayer de contenir la frénésie grandissante de la construction qui mite inlassablement le territoire et abime autant les paysages que les modes de vie.
Déconstruire c’est questionner, c’est prendre position, c’est résister. C’est sensibiliser aussi.
Sensibiliser pour convaincre.
Mais déconstruire, c’est avant tout, l’art de remettre en question chaque chose, avec humilité, de manière permanente et perpétuelle.

Avemu a vista di casa, ci tocca a pisà l’occhji cun a sucetà, ne simu (s)guardi.
Un tene che a noi d’intreccià a tela cummuna pè l’architettura prima, ma sopr’a tuttu,
pè u campa bè, pè u campa megliu e pè un campa inseme.

 

Clôture

Par Sylvia Ghipponi, Présidente

 

Nous clôturons cette journée qui, je l’espère, restera un moment de bienveillance, de confraternité et de solidarité pour nous tous.

« Il faut (nous) souhaiter un peu plus de bienveillance malgré la compétition continuelle dans laquelle on (nous) fait vivre pour mieux (nous) affaiblir », comme le dit Bernard Quirot.

Cette institution doit aussi fédérer, rapprocher, renforcer la cohésion et rendre plus forte notre profession.

En conclusion de votre ouvrage, Bernard Quirot, vous proposez ceci : « Organisons la fin de la compétition et investissons dans l’enseignement et l’éducation à l’architecture, le temps, l’argent et l’énergie considérable dépensés dans l’ensemble du système de sélection et de distinction des architectes ».

Et je souscris entièrement à vos propos...

 

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