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Investir dans la conception, le bon choix économique

Par Denis DESSUS, président du Conseil national de l'Ordre des architectes - L’architecture n’est pas un produit standardisé. Afin d’aboutir au meilleur résultat, il est indispensable que les maîtres d’œuvre et acheteurs publics établissent une contractualisation équilibrée afin que chacun joue pleinement son rôle.
Mis à jour le
7 octobre 2020
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Lycée professionnel maritime Florence Arthaud

(Texte paru initialement dans la revue Contrats Publics – n° 176 - Mai 2017)
 

L’économie et la valeur doivent guider les conceptions urbanistiques et architecturales. Ce n’est pas une provocation rhétorique, même quand on connaît l’attachement des architectes à la prise en compte des volets sociaux et culturels de la création et la réticence face au tout économique qui est la base des réglementations européennes et françaises en matière de marché public. Ce sont des notions, quand elles sont bien comprises, suffisamment larges pour guider la production de notre cadre de vie.

Le problème est que « l’offre économiquement la plus avantageuse », mantra de la passation des marchés publics, se traduit trop souvent en maîtrise d’œuvre par un choix basé sur le montant de l’offre brute et non sur les compétences de l’équipe. Cela a un sens pour des marchés de fourniture mais aucun pour des marchés de conception architecturale et urbaine dont la prise en compte du seul prix de l’offre va générer des marchés de travaux aux montants plus élevés, et, pendant des décennies, des usages et des services moins bien satisfaits et plus onéreux.

Toutes les études démontrent le formidable levier d’efficacité que représentent la réflexion en amont et la qualité de la conception qui sont les éléments premiers d’une démarche qualité.

Pour créer un environnement écologique, économe, un lieu de vie sociale apaisée, riche de culture, d’émotions et de sens, il faut investir dans la réflexion programmatique, la conception des flux, l’analyse des besoins des habitants, se projeter dans les processus d’appropriation et d’usage, imaginer et permettre l’évolution des modes d’habitat, de travail, d’enseignement, de soins…

Pour obtenir d’une école qu’elle permette le meilleur enseignement, ce qui est le service public attendu, la conception doit optimiser de multiples paramètres. Citons l’acoustique, l’éclairement, l’ergonomie, le confort thermique, la sécurisation des espaces intérieurs et extérieurs, la composition de l’air intérieur, l’adaptation aux nouvelles pédagogies etc. Le travail des formes, des sons, de la lumière et des couleurs doit générer des ambiances rassurantes, oniriques, en permettant l’appropriation et la fierté d’en être usager par les élèves et leurs parents, les enseignants et l’ensemble du personnel. L’université de Salford a ainsi démontré, par une étude scientifique faisant référence, qu’une école conçue en prenant en compte les paramètres environnementaux permet d’améliorer de 25 % la progression de l’apprentissage scolaire par rapport à une école basique.

 Concevoir la place du village nécessite d’intégrer de façon fine l’environnement, l’ensoleillement et les vents, les différents flux, la nature des matériaux et leur entretien, les essences végétales et leur croissance, leur caractère allergène, de prendre en compte les attentes d’une population riveraine, la variation des usages mais également des couleurs et des odeurs durant les saisons etc. Si cela n’est pas fait, si la réflexion s’est arrêtée à un joli plan masse fait rapidement, cet espace va entraîner un mal vivre, des commerces moins attractifs, des touristes qui ne s’arrêteront pas, des coûts d’entretien élevés, bref un investissement durablement contreproductif.

Prenons un dernier exemple. Le rôle d’un hôpital ou d’un EHPAD est de soigner et prendre en charge le mieux possible les patients à un coût maîtrisé. L’efficacité de la conception s’analyse selon plusieurs angles dont un est simple et permet de juger d’un des facteurs de qualité de l’outil pour les soignants : la distance que parcourt le personnel pour faire son travail. Une infirmière marche 8 km par jour dans un hôpital bien conçu, compact, avec un rendement de plan satisfaisant. Cette distance va bondir à 12 ou 13, voire doubler dans un établissement dont la conception n’aura pas optimisé l’organisation spatiale. Pour un hôpital local avec un personnel médical de 100 personnes, l’enjeu sur ce seul critère est de 200x100x5, soit 100 000 heures annuel de temps de travail du personnel perdues en déplacement si l’on n’a pas choisi, en leur donnant les moyens nécessaires, des concepteurs compétents pour analyser les différentes options fonctionnelles, leurs incidences sur les comportements des malades, des familles et du personnel. 100 000 heures payées qui ne seront pas consacrées au soin des patients, soit un coût énorme pour les finances de l’établissement, et pour la collectivité avec, de facto, une mauvaise qualité du service rendu.

Il y a de multiples éléments dans la conception qui vont impacter l’état du patient, son temps de guérison et son bien-être, et qui nécessitent une équipe de maîtrise d’œuvre aux compétences élargies, avec des moyens et du temps consacrés à résoudre toutes les problématiques spécifiques à chaque programme.

Cette analyse pourrait être faite sur le logement, le tertiaire, les bâtiments commerciaux ou industriels, chaque typologie d’habitat permet de faire le même constat : investir sur la conception, privilégier le choix de la compétence, de l’intelligence et de la créativité se traduit par un gain, notamment économique, considérable.

La France est en retard dans cette prise de conscience, les chiffres de Eurostat démontrent que la complexification de la construction se traduit par un poids de plus en plus important en Europe de l’architecture et de l’ingénierie, sauf en France où il se réduit. Nous sommes dans un rapport de 1 à 2 avec l’Allemagne ! Cela ne peut avoir que des conséquences négatives sur la qualité bâtie et donc des effets particulièrement néfastes sur les services publics rendus.

Nous avons pourtant, en France, une loi MOP qui développe une démarche qualité nécessaire, avec des exigences partagées et des engagements de résultat de la maîtrise d’œuvre. Mais tout n’est pas écrit dans les lois et les textes réglementaires, d’autant qu’ordonnance et décret marchés publics ne sont pas des guides pratiques de la commande.

Il faut que la création de notre cadre de vie débute par une réflexion urbanistique essentielle, chaque voie tracée structurant l’espace souvent de façon définitive, alors que la ville est en transformation permanente, en imaginant les flux d’information et d’énergie, l’évolution des modes de transport et de travail, l’assemblage des masses et la maîtrise de la lumière, du bruit et du vent etc. Autant d’éléments qui vont conditionner le développement d’une vie sociale dans des espaces collectifs, la réussite des espaces commerciaux, la vente des logements, l’attrait d’un quartier et d’un nouveau paysage.

Toute programmation d’équipement et de logements doit déterminer les besoins de l’instant, et la richesse de son contenu est l’élément déterminant de la réponse qui sera apportée par le projet architectural et urbain. Elle devra également suggérer les mutations futures, les extensions et déconstructions, l’avènement et l’intégration de nouvelles technologies et de nouvelles pratiques et ne pas se contenter d’un tableau de surfaces et de la fixation d’une enveloppe budgétaire d’investissement. Une fois la réflexion programmatique aboutie, la faisabilité confirmée et le financement mis en place, le choix de l’équipe de maîtrise d’œuvre va être une étape clef. L’architecture n’est pas un produit standardisé. Chaque architecte aura une réponse spatiale, économique et technique différente aux attentes des maîtres d’ouvrages et à travers eux, des usagers.

Pour ces marchés spécifiques à fort enjeu sociétal, les procédures de passation des marchés publics sont des outils qui ne seront efficaces que s’ils sont utilisés de façon pertinente, avec comme seul objectif l’obtention in fine du meilleur projet. Le Mini-guide pour bien choisir l’architecte et son équipe, élaboré conjointement par l’Ordre des architectes, le Secrétariat général et la Direction générale des patrimoines du ministère de la Culture et de la Communication, la MIQCP et la FNCAUE, donne les grandes lignes d’une passation efficace de la commande publique de maîtrise d’œuvre. Nous approfondirons ici le déroulé du concours, qui permet de choisir une équipe et un projet. Obligatoire au-dessus du seuil de recours à une procédure formalisée pour tous les maîtres d’ouvrage soumis à la loi MOP, son utilisation est recommandée, même pour les petites opérations, dès qu’il y a un enjeu architectural.

Maîtrise d’œuvre et acheteur public vont collaborer pendant plusieurs années. Il est indispensable pour que cela aboutisse au meilleur résultat d’établir une contractualisation équilibrée, en sécurisant juridiquement les acteurs, avec des exigences et des contraintes établies pour que chacun joue pleinement son rôle.

Avec le cadre et la démarche que nous proposons dans ce dossier, les conditions de fabrication du projet favorables à la qualité architecturale, environnementale et urbaine, et à une bonne gestion de l’argent public, seront mis en œuvre.
 

Denis Dessus, président du Conseil national de l'Ordre des architectes

 

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