La parole à ... Laurent POUTREL

Durant cette année 2021, une excellente nouvelle est tombée pour les architectes français : Après Christian de PORTZAMPARC et Jean NOUVEL, LACATON & VASSAL ont reçu le prix PRITZKER, considéré comme le prix NOBEL d’architecture. Ils ont réalisé deux ouvrages emblématiques dans notre région. Le GRAND SUD à LILLE en 2013 et le FRAC à DUNKERQUE en 2015. Et chose dans le cas de parachutage de stars en région, ces deux projets sont des bâtiments emblématiques de leur production.

Pour accompagner cette récompense, que seul trois architectes français ont obtenu, nous avons rencontré le directeur du GRAND SUD. Laurent POUTREL, originaire du Sud, est "monté" sur LILLE pour mettre en place le projet du TRI POSTAL dans le cadre de Lille 2004 capitale européenne de la culture et le diriger durant huit années.

Avant cette mission, il a participé à de nombreux chantiers de lieux culturels emblématiques de la scène nationale avec des architectes exigeants et dans des quartiers sensibles. En particulier à Marseille, le cinéma l’ALHAMBRA dans les quartiers Nord et la BELLE DE MAI avec l’architecte Patrick BOUCHAIN. Il a ensuite était missionné par la Ville de LILLE pour établir le programme du Grand SUD (lieu culturel), participer au jury de concours, suivre le chantier et le diriger jusqu’en avril de cette année.

Etant le programmateur et le futur utilisateur, il avait une voix consultative dans ce jury. La ville de LILLE souhaitait pour ce projet dans le quartier de LILLE SUD, des architectes reconnus sur le plan national. Elle souhaitait implanter un bâtiment exemplaire dans la continuité de LILLE 2004. Lors du dernier tour de sélection, Laurent POUTREL portait son choix sur un projet “plus traditionnel, à la Rudy Ricciotti” (il serait pas content Rudy de savoir que l’on le considère traditionnel). Il était craintif sur le projet de LACATON & VASSAL à l’usage. Leurs propositions étaient désarçonnantes à ses yeux.

Un échange extrêmement productif s’est mis en place. Ce fût un travail collégial et horizontal avec les trois instances : maîtrise d’ouvrage, architectes et utilisateurs. A partir de ce projet architectural radical, Laurent POUTREL a imaginé en parfaite osmose avec les architectes et les représentants de la maîtrise d’ouvrage, penser un fonctionnement original et unique; n’ayant jamais était conçu pour ce type d’établissement. A partir de l’idée initiale d’un bâtiment totalement transparent, ouvert sur le quartier avec des systèmes d’ouvertures “hors d’échelle”.

> lien du site de LACATON & VASSAL : GRAND SUD

> Lien du site de LACATON & VASSAL : FRAC 

L’ouverture des façades principales : deux murs vitrés de 12 tonnes chacun. Les architectes et l’utilisateur avait en permanence le souci que l’usage et la maintenance soient le plus simple possible. Pour accepter l’idée que ces parois soient manoeuvrées manuellement, Laurent POUTREL a trouvé l’idée dans le souvenir du feuilleton qu’il regardait chez ses grands parents : l’homme de Picardie. Il y avait un éclusier qui manoeuvrait manuellement les lourdes portes de l’écluse. C’est le même système que les architectes ont mis en oeuvre au GRAND SUD afin de répondre au souci de maintenance.

LACATON & VASSAL ont conçu un bâtiment unique. Ils ont développé les usages de cet établissement au maximum. Par exemple, utiliser les deux grandes portes comme lieu de passage de semi-remorques pouvant rentrer directement dans le bâtiment. Cette solution facilite grandement la dépose des décors ou de leurs chargements. L’autre idée maitresse qui a germé des échanges, a été que l’ensemble du rez-de-chaussée puisse être utilisé en totalité en salle de spectacles. Que chaque lieu individuel puisse être couplé avec l’espace mitoyen. Autre concept mise en place, chaque salle pouvait fonctionner dans tous les sens. La scène pouvait se trouver dans toutes les configurations. Que l’addition des salles pour n’en former plus qu’une, devait également pouvoir être utilisée dans n’importe quelle configuration. Le lieu devait avoir une modularité qui n’avait pas d’exemples à cette époque. Tout devait être inventé, dixit Laurent POUTREL .

L’autre apport important du projet est la serre. Celle-ci joue un rôle de régulation thermique dans le bâtiment. Elle a une fonction régulatrice jusque dans les bureaux situés dans l’étage supérieur. Le GRAND SUD est le seul bâtiment culturel de la Métropole qui a pu rester ouvert durant la COVID (hors période 1er confinement). Avec ses façades qui s’ouvrent sur l’extérieur (aération naturelle : courant d’air), ses salles modulables qui permettent de jouer sur la jauge des spectateurs et de son système de ventilation naturelle. Tout cela oeuvre pour la limitation des effets de transmission. Elle a permit à l’équipe, aux artistes et au public de profiter de ce lieu et de fonctionner durant cette période si particulière.

Tout ce travail a été géré par Emmanuelle DELAGE de l’agence LACATON & VASSAL. Laurent POUTREL ne tarit pas d’éloges pour cette consoeur. Elle a tenu durant plusieurs années ce projet fasse aux difficultés quotidiennes. Elle a continué sa mission d’accompagnement durant trois années après la réception des travaux pour que la couture entre le parc et le bâtiment se fasse comme l’avait prévu les architectes. Les LACATON & VASSAL ne sont venus à LILLE pour les réunions où des décisions étaient à prendre dans des moments cruciaux.Sur le choix programmatique, lors de tensions durant le chantier avec certaines entreprises qui avaient énormément de difficultés à visualiser l’objet fini.

Au cours des études les LACATON & VASSAL ont souhaité que Laurent POUTREL vienne à leur agence à PARIS. Ils avaient une proposition à lui montrer. Ils avaient imaginé que le bâtiment se glisse sous le parc attenant. Initialement, le programme prévoyait que la limite du bâtiment avec le parc se ferait par d’énormes murs de soutènement. Cette nouvelle proposition avait pour effet de créer 1.300m2 de surfaces supplémentaires, avec un total de 3.791 m2. Laurent POUTREL ne pouvait que valider une telle solution. Elle lui apportait la possibilité de développer le projet de façon très significative.

Au niveau financier, le surcoût de cette surface importante a pu être absorbé en grande partie par la suppression des murs de soutènement qui retenaient les terres du parc.

L’expérience vécue de Laurent POUTREL, en particulier, dans les quartiers Nord de MARSEILLE a permis de mettre en place une stratégie avec le quartier et ses habitants. Dès 2010, la ville a organisé de très nombreuses réunions publiques afin d’impliquer les habitants. Un dialogue s’est instauré avec les associations, les centres sociaux, les habitants : un peu à la manière que pratique BOUCHAIN dans ses projets.

L’image que retenait Laurent POUTREL du projet avec ses façades en coussin gonflable lors de sa présentation au concours : "Il voyait le GRAND SUD comme un fort du Far-west avec les indiens qui l’assiègent et qui percent les coussins d’air avec leurs flèches." Il avait exprimé ses doutes à la mairie. Avec le recul nécessaire aujourd’hui, ses craintes se sont avérées fausses. Il n’en a rien été durant ses huit années à la tête de cet établissement. L’idée d’ouvrir réellement le bâtiment sur le quartier a été très efficace, il a permit une appropriation des habitants et des usagers.

Dans tous ses propos, Laurent POUTREL fait constamment l’éloge ou référence au travail de l’architecte. Il a été impressionné par sa rigueur et par sa capacité à tenir le projet. Face quelque fois à l’incompréhension légitime des entreprises quand à la finalité, les architectes, inlassablement, ont produit des détails, ont passé des heures à expliciter l’objectif final. Laurent POUTREL résume ainsi cette pensée architecturale si radicale & spécifique (une première dans la région) :

“Le GRAND SUD est un lieu aride qui s’habille de la lumière, du son et du public. Il devient lui-même quand ces trois facteurs sont réunis”.

Les deux heures passées en compagnie (en visio, contexte oblige) de cet homme de culture et de convictions m’ont renforcé dans ma pratique de notre métier. Notre rôle est de tenir un projet.

Nous sommes les seuls qui percevons l’objet final. Nous devons pour cela, dialoguer et expliciter sans cesse à nos interlocuteurs la nécessité de ne pas varier afin de ne pas perdre l’essence même du projet. Cela est d’autant plus juste sur des projets "minimalistes".

Étant un utilisateur régulier du lieu, j’ai pu revivre ce que mon interlocuteur m’a décrit.

Cet entretien avec "un client", que tout architecte révérait d’entendre sur son travail et sur ses projets, m’a permis de confirmer ce que pense la majorité des architectes : Un bon projet ne peut se faire qu’avec une Maîtrise d’ouvrage forte, un bon programme et un bon architecte.

Ce trio n’a qu’un objectif : la finalisation d’un programme et d’un projet. Que chaque intervenant tienne son rôle et sa mission dans le respect des autres. Ce projet, comme celui du FRAC, sont des exemples qui nous stimulent pour mener à bien nos propres réalisations.

Il faut se rappeler qu’au moment du concours, LACATON & VASSAL était une agence qui montait. Ils n’étaient pas encore identifiés comme "des stars". Ils n’avaient pas encore acquis cette notoriété internationale qui leur a été décernée cette année à juste titre.

Jean Charles HUET Architecte & Conseiller ordinal